Harcèlement au travail: comment s’en sortir?
La vie professionnelle est très exigeante, nous sommes contraints de travailler avec des collègues ou des responsables que nous ne choisissons pas, en cas de difficultés nous ne pouvons pas fuir aisément. Le stress et la surcharge peuvent détériorer les relations professionnelles. Le harcèlement est une forme spécifique de conflit particulièrement destructeur car il vise l’exclusion de l’autre.
Qu’est-ce que le harcèlement psychologique (mobbing)?
C’est un enchaînement de propos et d’actes hostiles, actifs ou passifs qui se répètent à l’encontre d’une personne en particulier. Ces actes hostiles se répètent au moins un par semaine pendant 6 mois. Habituellement, chaque acte pris isolément, peut encore être considéré comme supportable alors que l’ensemble des agissements constitue une déstabilisation de la personnalité, poussée jusqu’à l’élimination professionnelle. (TF 8C_358/2009).
Ces actes hostiles détériorent la possibilité de communiquer de la victime, les relations sociales au travail (l’ignorer, l’exclure, lui attribuer un poste éloigné), la réputation de la victime (propager des rumeurs, se moquer), sa qualité de vie et sa situation professionnelle (tâche absurde ou retrait de responsabilités) et/ou sa santé (mise en situation de travail dangereux). Il est rare que toutes les dimensions d’actes hostiles soient touchées en même temps. Il s’agit d’agissements subtils et non d’un enchaînement aussi « évident ». Chaque acte pris isolément peut paraître supportable mais c’est l’enchaînement de ceux-ci qui a des répercussions sur la santé psychique et physique jusqu’à l’exclusion professionnelle (arrêt de travail pour maladie, démission).
Quelques exemples de harcèlement psychologique
Par exemple, ce serait couper fréquemment la parole de la victime, « oublier » de la mettre en copie d’un mail qui la concerne, oublier de la mettre dans la liste des destinataires d’une information. La victime est souvent ignorée (regard, oubli de dire bonjour, elle devient insignifiante), exclue de réunions « parce qu’il n’est pas nécessaire d’y participer » mais toute l’équipe est conviée, exclue de la pause-café (on a oublié d’aller la chercher), exclue d’autres « petits évènements » du quotidien de l’organisation. Elle est rarement moquée en face mais plutôt raillée sur ses réponses, ses propositions (regards complices et rieurs, on lui coupe la parole en lui faisant comprendre que son intervention est stupide…), cela peut concerner sa manière de s’habiller, son mode de vie à une frontière très fine avec des rumeurs qui seraient lancées dans son dos (également considérées comme agissements hostiles). Il s’agit de lui retirer des responsabilités, des projets et/ ou donner des tâches absurdes, en dessous de son niveau de compétences ou alors très en dessus comme ça il est fort probable qu’elle n’y arrive pas, ce qui montre bien à tout le monde son « incompétence ».
Le harcèlement sexuel.
Toute référence dévalorisante liée au sexe est considérée comme harcèlement sexuel. Il s’agit en particulier de paroles, d’actes ou de gestes sexistes, homophobes ou à connotation sexuelle, non désirés et provoquant l’inconfort auprès de la victime ou empoisonnant le climat de travail. Les plaisanteries déplacées, propos obscènes et sexistes, remarques concernant les qualités ou défauts physiques, présentation de matériel pornographique en sont quelques exemples. Le harcèlement sexuel se produit dans un rapport de travail y compris cafétéria, place de travail à domicile, locaux externes où sont organisés des rencontres avec la clientèle ou repas de Noël du personnel. À la différence du mobbing, il est habituellement admis qu’un seul incident peut suffire s’il présente un certain degré de gravité.
Le harcèlement peut provoquer de graves atteintes à la santé
Être exposé de façon répétée à des attitudes hostiles qui durent dans le temps peut engendrer des séquelles physiques et psychologiques importantes. L’équilibre émotionnel se détériore progressivement: sentiment d’injustice, de méfiance, de frustration, d’impuissance, d’agacement ou de découragement, impression d’être humilié. Cette souffrance crée de nombreuses tensions physiques et peut s’aggraver vers une perte totale d’envie et d’intérêt pour le quotidien. L’usure devient constante car il est difficile de ne pas être envahi par ces émotions lourdes. Petit à petit la victime plonge dans une détresse indicible. Elle perd contact avec ses proches et avec la réalité, dans une telle aggravation, le risque suicidaire est présent.
Un contexte d’absence de soutien social ou d’isolement aggrave les risques d’atteinte à la santé: être ignoré par le reste du groupe devient encore plus douloureux. Non seulement la victime perd l’aide et le soutien dont elle a cruellement besoin mais il est plus difficile de dénoncer ou de se défendre du « rien » plutôt que de se protéger d’une agression ouverte et directe.
Que les facteurs toxiques soient réellement existants ou jugés comme réels dans l’esprit de l’employé ne fait pas de différence sur l’atteinte à la santé. Les mauvaises relations peuvent engendrer un syndrome de méfiance: la victime développe une susceptibilité croissante et aura tendance à interpréter les comportements ou évènements comme agressifs ou dégradants de façon systématique.
La victime est à ce stade fréquemment présentée comme « collaborateur difficile ». Sa conduite résulte du processus de destruction et constitue le plus souvent une réaction de défense désespérée et vaine. La victime agace et le harcèlement trouve sa justification.
Que faire contre un.e collègue ou chef.fe rabaissant.e ou harcelant.e?
Dans un premier temps, tenter de désamorcer la tension en revenant sur le ou les évènements, en exprimant leur impact. Si cette première stratégie échoue et que de nouveaux actes hostiles surviennent, il convient de les consigner par écrit et d’activer des voies plus formelles telles que la Personne de Confiance en Entreprise, le service de santé au travail, les RH ou le syndicat pour obtenir des mesures visant à protéger son intégrité personnelle.
Compte tenu des conséquences possibles, il est important de comprendre rapidement ce qui est en train de se produire et activer les bons leviers (structures d’aide) pour neutraliser la situation avant que les rôles ne soient polarisés victime-agresseur et que le cercle vicieux ne se soit installé. Il est possible d’adopter une stratégie de recadrage intérieur en changeant sa manière de voir la situation: cesser de culpabiliser, espérer le meilleur tout en s’attendant au pire, développer le détachement émotionnel et l’indifférence. Il est inutile de lutter contre des forces supérieures aux siennes au risque de s’épuiser physiquement et mentalement. Puis, il est nécessaire de capitaliser sur tous les moyens de reprendre une once de contrôle sur la situation et sentir qu’il est possible d’influer sur des aspects même mineurs de la vie professionnelle, par exemple en cherchant du soutien auprès de collègues d’autres services, en s’exposant le moins possible et en pratiquant la désescalade. Dans tous les cas, lorsque les situations sont durablement humiliantes, il devient indispensable de fuir car les conséquences sur la santé psychique peuvent perdurer des années et polluer de futures relations de travail.
Article écrit avec la précieuse collaboration de Julie Zumbühl, psychologue du Travail www.cliniquedutravail.ch
En réponse à une question me demandant si les femmes sont plus vulnérables au harcèlement que les hommes. Selon mon expérience clinique, non, les femmes ne sont pas plus vulnérables que les hommes. Bien qu’il soit difficile de parler d’une façon générale, je peux observer une différence homme/ femme : parfois les hommes tardent davantage avant de dénoncer ce qu’il se passe, ils essaient de faire face seul sans demander d’aide assez vite, ils n’en parlent souvent pas à leurs proches ou ils minimisent l’impact émotionnel. Les femmes ont d’une façon générale une capacité plus grande à exprimer ce qui les affectent. J’ai accompagné des hommes occupant des postes à responsabilité (qui pouvaient sembler invulnérables) totalement anéantis intérieurement par les hostilités de leurs collègues ou de leur hiérarchie mais ils ne laissaient rien paraître de leur souffrance. L’obstacle principal pour trouver de l’aide est le sentiment de honte qui se développe avec l’isolement. Subir le harcèlement pendant des mois sans réussir à en parler est une grande douleur et cela peut laisser de terribles séquelles ou mener au pire.
Comment savoir si nous sommes victime d’harcelmement ou d’une mauvaise communication?
Cher Monsieur,
La distinction entre mauvaise communication, maladresses et harcèlement est souvent ténue.
Dans le cas du harcèlement, il s’agit de conduites vexatoires, hostiles et non désirées (gestes, propos, actes, comportements,…) qui se répètent dans le temps.
Aux critères de fréquence et de durée s’ajoutent celui des éventuelles répercussions qu’ont ces conduites sur la situation professionnelle et la santé physique et/ou psychique de la victime.
En d’autres termes, dans le cadre d’un harcèlement, la victime se retrouve isolée, marginalisée sur le plan professionnel jusqu’à exclusion de sa place de travail parce qu’elle se retrouve incapable de travailler (maladie), qu’elle décide de démissionner ou qu’elle se fasse licencier.
Sur le plan de la santé, la victime souffre en général d’importantes tensions accompagnées de troubles psychosomatiques. Il est fréquent d’observer les compétences émotionnelles et intellectuelles se désorganiser : difficultés à réfléchir de manière efficace et tendance à se focaliser sur les évènements négatifs dans sa relation avec le/la ou les harceleur-se-s. Les symptômes s’apparentent fréquemment aux réactions développées en situation d’impuissance acquise (Seligman).
Dans le cadre d’une mauvaise communication, celle-ci peut engendrer une situation de conflit relationnel qui constitue toujours une usure importante pour l’une et l’autre des parties. Elle peut donner lieu à des frustrations et à des difficultés sur la place de travail lorsqu’elle n’est pas adressée. En revanche, la « victime » n’est pas plongée dans une forme de situation durable où elle a l’impression que la situation lui échappe complètement et qu’elle ne peut plus agir. Les éventuels symptômes développés sont d’importance bien moindre que ceux que nous observons dans le cadre d’une situation de harcèlement.
À noter que dans l’un et l’autre des cas, l’intention subjective de l’auteur-trice n’est pas pertinente.
Meilleures salutations,
Julie Zumbühl